Gérald Brassine, publié en Novembre 2024 dans la revue Hypnose et Thérapies brèves n°75
MIEUX COMPRENDRE LE SSPT GRÂCE AUX TENTATIVES DE SOLUTION
J’ai eu la chance de passer une année entière (1983/84) au Mental Research Institute de Palo Alto avec « les trois grands » : John Weakland, Paul Watzlawick et Richard Fisch. et de m’imprégner de la rigueur et de la précision de leur modèle de travail grâce à leurs enseignements.
J’ai profité de ce séjour pour me former aussi à l’hypnose Ericksonienne auprès de différents formateurs et praticiens dans la région de San Francisco et en Arizona.
Peu après (en 1985) j’ai rencontré Mme Kay Thompson, amie de Milton Erickson et collaboratrice de celui-ci durant trente ans.
(Elle reçut de lui en plus de son enseignement la direction de l’American Journal of Clinical Hypnosis.)
Cette rencontre bouleversera ma pratique de l’hypnose.
K. Thompson m’apprit comment travailler avec un patient qui est en hypnose et est invité à parler, réagir et travailler activement sur son système nerveux autonome… Jusque-là, fidèle aux enseignements de la MH Erickson Foundation AZ., j’avais appris à débiter des métaphores aux suggestions indirectes à un patient muet et inactif.
Pour la première fois avec Kay Thompson, je pus expérimenter une hypnose conversationnelle au sens premier du terme, durant laquelle un échange verbal permanent avait lieu, où elle m’invitait à agir sur mon système nerveux autonome, mes émotions et sensations corporelles.
Depuis cette époque, je considère cette manière de faire, comme un prérequis indispensable pour effectuer un travail protecteur, particulièrement sur des souffrances énormes comme celles rencontrées dans les traumas.
Si, dès ses débuts, ma pratique de l’hypnose s’associait déjà avec bonheur à la Thérapie Brève, lorsqu’il était question de soigner des patients atteints de SSPT j’étais franchement démuni.
Avec l’arrivée de l’EMDR, ma pratique a nettement progressé et l’affinement des traitements des SSPT m’a passionné.
Au fil du temps, lors de cas sévères traités par l’EMDR, j’ai observé que parfois de trop grandes explosions émotionnelles avaient lieu, que certains des aspects du traitement n’avaient pas abouti et, plus grave encore, que des déplacements psychosomatiques avaient lieu. C’était en tant que « protections »… mais cela je ne le comprenais pas encore.
Le développement de ce qui allait devenir la Psychothérapie du Trauma Réassociative (PTR), découle de la mise en parallèle de la notion de « Tentative de Solution » -concept central pour Palo Alto- et des phénomènes hypnotiques dissociatifs involontaires créés qui apparaissent lors du choc traumatique. Ceux-ci sont à la base de la formation du Syndrome de Stress Post Traumatique.
Phénomènes hypnotiques et trauma
Une bonne solution (souvent incomprise) …qui vire au cauchemar !
LORS D’INCIDENTS TRAUMATIQUES, des phénomènes hypnotiques dissociatifs s’abattent subitement sur la personne pour la protéger en lui permettant une mise à distance émotionnelle. C’est pourquoi en PTR nous parlons alors de Protections Dissociatives.
La victime sera éventuellement pétrifiée (catalepsie), anesthésiée (je n’ai rien senti), dissociée (j’étais comme collée au plafond), dépersonnalisée (et me regardais en bas, comme si j’étais quelqu’un d’autre) et je n’avais aucun sentiment (anesthésie émotionnelle), quand il a sorti une arme, je me suis senti comme morte, J’ai oublié tout cela jusqu’à il y a quelques années (amnésie), et j’ai développé une polyarthrite rhumatoïde (psychosomatique* qui transforme les émotions, la terreur par exemple, en douleur physique), etc.
Dans la suite de la vie du patient, les phénomènes sont là en permanence à bas bruit et dès qu’une stimulation interne ou externe réactive le trauma, toutes les Protections Dissociatives se réveillent. Elles s’intensifient. Tout ce qui était protection à l’origine est souvent vécu par le patient comme autant de symptômes invalidants, intempestifs et incontrôlables.
L’inconscient continue de tenter de le protéger…mais avec une artillerie lourde qui n’a maintenant plus raison d’être !
Par exemple la personne abusée dans son enfance peut subitement se retrouver anesthésiée physiquement, sortir de son corps et se regarder d’en haut comme si elle était quelqu’un d’autre et, éventuellement, n’avoir aucune émotion.
De même, pour le thérapeute qui ne serait pas initié à la PTR, l’apparition de ces phénomènes hypnotiques -que nous avons appelés Protections Dissociatives (recadrage ou réalité ?) pour en souligner la fonction positive- peut apparaître comme un frein, une résistance : la personne ne ressent rien ou ne se rappelle pas, elle plonge dans le mutisme ou…
On peut alors parler ici de Tentatives de Solution -au sens de Palo Alto- hypnotiques donc ici involontaires et inconscientes qui sont ou renforcent le problème. Puisque « le problème c’est la solution ». Ici c’est l’évitement !
Si, comme suggéré par M.H. Erickson, on s’associe, on intensifie ce qui apparaît comme une résistance…il n’y a plus de résistance !
C’est ce que nous faisons en PTR, paradoxalement et contre intuitivement, en demandant au patient d’augmenter (dans un premier temps) ces phénomènes hypnotiques dissociatifs, souvent inquiétants, voire effrayants, pour qu’il se rende maître de ce qu’il subissait jusque-là…
Ce PREMIER « CADEAU » (la maîtrise) est suivi d’un deuxième : les phénomènes hypnotiques une fois augmentés volontairement retrouvent vite leur fonction originelle protectrice.
Le DEUXIEME « CADEAU » (l’anesthésie) : le patient lui-même apprécie et développe LES ANESTHÉSIANTS qui lui sont offerts.
Grâce à ceux-ci une petite magie s’opère : la douceur offerte par ces anesthésiants permet de revenir au centre même du trauma, là où ils sont nés, là où ils ont été nécessaires, voire indispensables.
Les Tentatives de Solution qui avaient ici pour dénominateur commun l’évitement (ne pas oser affronter ni regarder le souvenir) effectuent un virage à 180 ° : les Protections Dissociatives maitrisées permettent de « revisiter » les souvenirs traumatiques (souvent accompagnés de levées d’amnésies) et de les transformer.
En effet le trauma ce n’est pas ce qui s’est passé, mais bien « l’enregistrement de ce souvenir« . C’est la grande chance du thérapeute et du patient. Ils vont pouvoir modifier ensemble les souvenirs qui tournaient en boucle, souvent inconsciemment.
Simplement et souvent dans une créativité joyeuse, le patient sera invité à changer les aspects visuels, auditifs, kinésiques, olfactifs et éventuellement gustatifs de son trauma.
La cognition, habituelle dans tout trauma, le « je suis coupable, responsable et j’ai honte ** » (de ce dont la personne est en fait la victime) se transforme, grâce (entre autres) à la construction d’un nouveau scénario qui répond à ses besoins inconscients.
Le retour des émotions retenues pourra enfin avoir lieu.
Par exemple, une personne soumise et maltraitée dans le souvenir qu’elle revisite, va pouvoir enfin ressentir de la colère*** imaginer la mettre en pratique et se sentir à nouveau forte. De ce fait même, elle ne pensera plus que c’est de sa faute (si elle a été violée, braquée, subi une césarienne au lieu d’accoucher par voie basse, etc.).
TROISIEME « CADEAU » (les têtes chercheuses) : les tentatives de solution inconscientes augmentées servent d’anesthésiants pour traiter le cœur du trauma. Elles font aussi office de « TÊTES CHERCHEUSES » ramenant des détails et compréhensions oubliées, dissociées, de l’incident traumatique. De plus, elles permettent de mettre en lien l’incident traumatique sur lequel on était focalisé avec d’autres moments cruciaux de la vie de la personne durant lesquels les mêmes Protections Dissociatives s’étaient développées. Tout est en place pour désensibiliser le plus sereinement possible le trauma ou le chapelet de traumas.
QUATRIEME « CADEAU » (exit les phénomènes hypnotiques dissociatifs) :
La souffrance une fois insensibilisée, les phénomènes hypnotiques dissociatifs symptomatiques n’ont alors plus raison d’être et ils « s’envolent », se dissipent : le patient en est libéré.
Pour les puristes systémiciens, on pourra parler ici d’une approche « re-constructiviste » alors que, selon les conceptions intrapsychiques néo-Freudiennes on parlera plutôt du retour du refoulé. Qui a raison ? C’est une autre question.
Mais en tout cas le patient ira rapidement mieux et aura la sensation très réelle qu’il a tout fait par lui-même parce que le thérapeute dans cet échange constant avec le patient aura permis « d’éliciter » en position basse ou égalitaire des Processus Autonomes Auto-Thérapeutiques.
* « Surmonter le Traumatisme. Initiation à la Psychothérapie du Trauma Réassociative
PTR » G. Brassine & N. Tonglet. Éditions SATAS.
** « Faut-il parler de ça aux enfants ? Prévenir, détecter… » G. Brassine Kindle. Amazon
*** « La vengeance du jaguar » G. Brassine Kindle. Amazon.
La psychosomatique est conceptualisée en PTR (2000) comme un phénomène hypnotique comme les autres notamment en raison de sa fonction protectrice des émotions vécues comme trop pénibles.
Gérald Brassine