La psychosomatique : un phénomène hypnotique protecteur – Sensations, émotions et PTR

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La psychosomatique : un phénomène hypnotique protecteur - Sensations, émotions et PTR

Gérald Brassine, publié dans la revue Hypnose et Thérapies brèves hors série n°19

 

Pour Gérald Brassine la psychosomatique rejoint la liste des phénomènes hypnotiques dotés d’une fonction protectrice puissante. A partir d’un cas de polyarthrite rhumatoïde, il met expérimentalement en évidence comment la douleur somatique protège de douleurs émotionnelles que le sujet ne parvient pas à assimiler. Le travail en PTR (Psychothérapie Trauma Réassociative) consiste à transformer le souvenir traumatique et les émotions afférentes pour sortir de la rigidité des défenses psychosomatiques.

 

Penser la psychosomatique comme dotée d’une puissance protectrice, c’est reconnaître qu’il est préférable pour les patients de souffrir d’une maladie ou de douleurs corporelles, plutôt que de se laisser dévaster par des émotions comme la détresse, l’angoisse, la colère… Le travail consiste alors à « désensibiliser » en agissant sur les effets du trauma

En clin d’œil à Freud qui considérait le rêve comme étant la voie royale vers l’inconscient, on dit chez nous que la psychosomatique en est la voie Impériale…
Des phénomènes hypnotiques dissociatifs surviennent au moment d’un incident traumatique pour venir en aide à la personne. Pour cette raison nous les appelons Protections Dissociatives.
Début des années 2000, à l’Institut Erickson de Belgique, la psychosomatique rejoint la liste des phénomènes hypnotiques dotés de cette fonction protectrice puissante.
En ce qui concerne la psychosomatique, qui est une Protection Dissociative particulière en ceci qu’elle se développe la plupart du temps après l’incident, c’est un peu comme si le cerveau pensait qu’il vaut mieux souffrir d’une maladie, d’avoir des douleurs corporelles, plutôt que de ressentir les émotions dévastatrices ou inacceptables (désespoir, terreur, colère, etc.) qui en sont à l’origine. C’est en cela que la psychosomatique est protectrice.

Un cas frappant a marqué ma compréhension de la fonction protectrice de la psychosomatique…
En 1990, je travaillais avec une personne qui avait une trentaine d’années. Appelons-la Lisbeth. Elle souffrait d’une polyarthrite rhumatoïde.
Après avoir pratiqué un grand nombre de séances d’hypnose ericksonienne classique, utilisant presqu’exclusivement des métaphores indirectes au sens caché, l’état de Lisbeth ne s’améliorait pas : ni au niveau de la douleur physique, ni au niveau de la dépression et ce, malgré une lourde médication conjointe d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et de fortes doses d’anesthésiants. La vitesse de sédimentation atteignait des niveaux alarmants. La patiente portait des atèles recouvrant poignets et avant-bras, là où la douleur était la plus aigüe.
Elle parvenait difficilement à se lever le matin pour conduire son petit garçon à l’école, revenait se coucher pour ne se lever que dans l’après-midi pour aller le rechercher .
J’ai donc décidé de repenser la situation et d’utiliser une toute autre approche.

« Je lui suggérai fermement d’éliminer
purement et simplement les douleurs de
la polyarthrite au profit de la douleur
émotionnelle correspondante. »

Je proposai à la patiente une approche directe qui n’était pas dans les principes que l’on m’avait enseignés. A la veille d’un W.E., lors de l’hypnose, je lui suggérai fermement d’éliminer purement et simplement les douleurs de la polyarthrite au profit de la douleur émotionnelle correspondante. A cette simple demande, l’apaisement des douleurs fut immédiat. La patiente, étonnée mais ravie, ne souffrait plus de ses douleurs aigües. Nous nous sommes quittés sur ce résultat enthousiasmant.
Le lendemain, et durant tout le weekend, Lisbeth tenta de me joindre au service de santé mentale où je travaillais. Elle laissa un grand nombre de messages sur le répondeur.

La secrétaire qui arrivait le lundi matin écouta cette série de messages dans lesquels la patiente suppliait pour que je la rencontre au plus vite tellement elle était dans un état de désespoir. Je la reçut en urgence le matin même et immédiatement lui demandai (en hypnose) que le désespoir s’arrête et que les douleurs physiques correspondantes se réinstallent. A cet instant précis, à l’instant même, elle poussa un cri suivi immédiatement d’un soupir de soulagement devant l’immensité de la tristesse qui disparaissait presque totalement.
Je venais de recevoir un cours pratique magistral à propos de la psychosomatique. Il rejoignait les cours de psychopathologie reçus et fut confirmé par les nombreuses personnes souffrant de maladies d’origine émotionnelle que j’ai eu l’occasion de rencontrer par la suite. Comme décrits dans les cours de psychopathologie que j’avais suivis, ces patients aux douleurs aigües n’avaient que peu ou pas d’émotions, sauf celles concernant la douleur physique elle-même.
Comme le répète à l’envi M.H. Erickson, « les patients ne sont pas des sources fiables d’information »…

Par la suite, pour traiter la douleur aigüe de Lisbeth, j’ai utilisé une technique que Milton Erickson décrit dans l’Intégrale des articles (1).
L’invitation hypnotique (pour éviter le terme maladroit d’induction) que j’utilisai alors se formule de cette manière :
« Si votre conscient est d’accord et que votre inconscient est également d’accord et que votre conscient a confiance en moi et que votre inconscient a confiance en moi, alors vous irez en hypnose profonde, vous me raconterez les causes de cette maladie et vous oublierez ensuite ce que vous m’aurez confié, une fois la transe terminée.
Par la suite et hors hypnose, j’orienterai vos associations conscientes pour vous permettre de retrouver -éventuellement- le contenu et ce uniquement si cela vous convient. »

Pour toute invitation à aller en hypnose, je répétai trois fois les propositions ci-dessus. Elle entra en hypnose profonde, me parlant avec la voix d’une petite fille (régression vraie) .
Elle me décrivit d’abord avec peine et un débit très lent : « oh, un caleçon »; la présence d’un caleçon sur un plancher et ensuite et de plus en plus rapidement elle me décrivit deux années passées en Afrique avec sa sœur et son père qui, alcoolisé presque tous les soirs, venait les violer. Si Lisbeth résistait, elle était battue et enfermée dans les toilettes pour le restant de la nuit ou, ce qui la terrorisait d’avantage, elle était mise dans la rue, sur le seuil de la porte jusqu’au lendemain.

Par la suite, la thérapie de cette personne fut complétée par deux ou trois séances durant lesquelles j’évoquais consciemment -hors hypnose- certains éléments des contenus amnésiés. La première fois (après les deux séances d’hypnose profonde avec amnésie), j’ai mentionné le fait que j’avais aperçu un « caleçon » dans le petit parc à côté du centre de santé mentale où nous étions et, à la séance suivante, que j’avais vu une personne dormir sur le seuil d’une maison. Très étonnement, lors de ces deux séances distantes d’une semaine, la patiente est entrée spontanément et immédiatement en transe en disant lentement un « Ah, ouiiii » ! Transe « spontanée » dont elle ressortait immédiatement en semblant avoir complètement oublié ce qui venait de se passer.

Peu de temps après elle m’apprit qu’elle n’avait plus aucune douleur et avait arrêté toute médication, que son rhumatologue ne remarquait plus aucune anomalie dans la vitesse de sédimentation (à l’époque on ne se servait pas encore de la CRP). La thérapie s’arrêtait donc là et lors de la troisième séance après celle en hypnose profonde, elle me déclara, à brûle pourpoint , « qu’elle ne croyait pas un instant à cette histoire d’abus sexuels avec son père dont je lui avais parlé ». Ceci à mon grand étonnement puisque je n’avais pas abordé ce sujet sauf, de manière totalement indirecte en évoquant un caleçon puis quelqu’un qui dormait sur un seuil de porte.

 

TROIS NIVEAUX DE PSYCHOSOMATIQUE

La base des inductions utilisationnelles et du travail qui suit en PTR est le recours au corps, aux ressentis corporels. A propos des émotions, le thérapeute questionne constamment : Où est-elle dans le corps? Dans quelle partie du corps s’exprime-t-elle ?
Que l’émotion soit positive ou négative, le thérapeute invite toujours le patient à porter son attention sur la zone corporelle dans laquelle elle s’exprime. Puis il l’invite à intensifier cette sensation…et à constater qu’il a une maîtrise sur cette sensation / émotion.

 

1. Les manifestations psychosomatiques

Nous entendons par ce vocable les sensations habituelles qui se manifestent dans le corps du patient et qui souvent précèdent ou accompagnent l’expression d’une émotion : j’ai une boule dans la gorge, un nœud, une sensation de feu ou d’acide dans le ventre…
J’ai un poids sur la poitrine, j’étouffe. J’ai une ceinture qui me serre le plexus solaire ou une pointe qui s’y enfonce. Je suis comme étranglé, la gorge se serre, j’étouffe. J’ai la tête qui enfle, elle est pressée par un étau. Etc.

Autant d’expressions idiosyncratiques à réutiliser pour demander au patient d’amplifier ses douleurs afin d’avoir un contrôle, une maîtrise sur elles…même si c’est « d’abord dans le mauvais sens ».

« Elle poussa un cri suivi immédiatement d’un soupir de
soulagement devant l’immensité de la tristesse
qui disparaissait presque totalement. »

Cette demande sera suivie d’invitations à observer et à décrire ce qui se passe dans le corps, la sensation peut alors varier, se déplacer ailleurs, se transformer de quelque manière que ce soit. Le thérapeute vise à ce que cette manifestation sensorielle se retransforme en émotions qui en étaient à l’origine. Quasi toujours ces émotions ramènent la ou les scènes qui les avaient créées. Le travail habituel en PTR consiste alors à « désensibiliser » c-à-d transformer le souvenir et les émotions afférentes.(2). Ce travail de fond sur les souvenirs est indispensable.
Il est faux de croire qu’un travail symbolique/imaginaire axé uniquement sur les lésions touchées peut suffire. Par contre, il pourra utilement compléter le travail de fond en cas de maladie psychosomatique.

 

2. Les maladies psychosomatiques légères

Remontées acides, ulcères, béances de cardias, hernies hiatales, colons irritables, anismes, etc. ces maladies et leurs manifestations douloureuses offrent une « entrée » pour le travail thérapeutique. Elles sont une véritable chance pour thérapeute et patient afin de retrouver les émotions et les souvenirs, souvent amnésiés, qui les ont fait naître, ce qui mène à la guérison du trauma.
Pour faire simple, le thérapeute transforme le vakog complet du souvenir et les scénarios d’impuissance ce qui permet de réveiller les besoins restés jusque-là inconscients et donne souvent lieu au développement d’un Processus autonome auto-thérapeutique.
Ce processus permet aux émotions dissociées dans la manifestation psychosomatique
(phénomène hypnotique dont on a avantage à considérer la fonction protectrice) de s’exprimer (retour du refoulé) puis de s’apaiser enfin.
Les scénarios réparateurs que le thérapeute a permis d’éliciter et qui s’imposent au patient, sont fréquemment mis en action avec la PTR, ils offrent une guérison rapide et douce, presque magique.

« J’ai une boule dans la gorge, un nœud,
une sensation de feu ou d’acide dans le ventre…
J’ai un poids sur la poitrine, j’étouffe… »

 

3. Les maladies psychosomatiques lourdes

Polyarthrites, épilepsies, pudendopathies, fibromyalgies, maladies auto-immunes, prolapsus du rectum, rectocolites hémorragiques….sont quelques exemples de maladies sévères dont souffrent de nombreux patients avant d’être traités par cette approche. Attention, nous n’affirmons pas que toutes ces maladies ont une origine émotionnelle, mais lorsque c’est le cas, ces affections feront l’objet de désensibilisation d’un ou plusieurs traumas, voire de traumas complexes.
Les souvenirs des traumas recouverts par les maladies les plus graves se révèlent progressivement au patient et à son thérapeute. Durant la progression des levées d’amnésies successives et leur insensibilisation le patient retrouve de plus en plus la capacité à ressentir ses émotions.

Exemple d’un cas d’épilepsie
En 2018, lors d’une mission de formation au Rwanda(3) au bénéfice d’une soixantaine de psychologues et de leurs patients, j’ai appris que le pays avait un taux d’épilepsie beaucoup plus élevé que le reste du monde. Cela éveilla mon attention : y aurait-il plus d’épilepsie au Rwanda en raison du très grand nombre de traumatismes occasionnés par le génocide ?
Si certaines épilepsies avaient une origine traumatique, ne pourrait-on pas les aborder en PTR comme tout autre maladie psychosomatique ?

A mon retour, le hasard faisant bien les choses, une collègue PTRiste m’a adressé une patiente d’environ 30 ans dont elle redoutait qu’elle fasse une crise d’épilepsie durant un travail en hypnose. Elle souffrait d’une à deux grandes crises d’épilepsie par semaine. Après l’avoir entraînée à différents phénomènes hypnotiques, je l’invitai délicatement à expérimenter une maîtrise sur son état en lui demandant de faire renaître, de quelques pour cent seulement, les sensations annonciatrices d’une crise. La réaction fut immédiate : après avoir ressenti quelques sensations de début de crise, elle fut ramenée à ses 13 ans, dans le fenil prêté par un fermier où elle et ses amies guides (scouts) dormaient.
Durant la nuit, le fermier était venu la forcer à différents attouchements sexuels, fellation, etc.
Comme habituellement en PTR, nous avons ensemble procédé à la désensibilisation par transformation du souvenir, puisque les SSPT sont la conséquence, non pas de l’agression en tant que tel, mais de son enregistrement mnésique et de l’évitement hypnotique involontaire de celui-ci au moyen des Protections Dissociatives. (4).

Lors des 3 ou 4 séances suivantes, en utilisant les mêmes techniques (Induction via le réveil des sensations d’épilepsie, utilisation maximale de toutes les Protections Dissociatives et la transformation progressive et systématique de chacun des souvenirs) la jeune femme a fait des levées d’amnésie sur de nombreuses agressions sexuelles subies antérieurement (elle avait 10 ans) dans un camp de vacances au sein d’une école : une jeune femme d’une vingtaine d’années avait abusé d’elle avec férocité, usant de menace de mort, avec mise en pratique par étouffement, noyade par miction dans la gorge, menace de s’en prendre à sa petite sœur présente elle aussi dans ce camp de vacances.

Après quelques séances de travail actif sur chacun de ces traumas, la patiente me dit qu’elle n’a plus aucune crise de grand mal mais qu’elle souffre encore d’absences.
Les trois séances suivantes révèleront que, déjà vers ses 2-3 ans, sa maman, un grand-oncle et un oncle se servaient d’elle comme objet sexuel. Les insensibilisations qui suivirent (sur la terreur, etc.) et le retour thérapeutique d’autres émotions refoulées comme la colère ont eu raison définitivement des dernières manifestations épileptiques. Sa qualité de vie gagna de manière substantielle .

« Lors des 3 ou 4 séances suivantes
la jeune femme a fait des levées d’amnésie
sur de nombreuses agressions sexuelles
subies antérieurement »

Le frein.
Une autre démonstration puissante de reprise de contrôle du patient sur lui-même est l’utilisation paradoxale du retour à la douleur en tant que « frein » devant un afflux émotionnel trop envahissant voir même léger.
De cette manière le patient vérifie une fois de plus que le thérapeute lui octroie, dans une relation égalitaire sécure, le contrôle sur lui-même émotionnellement et physiquement.

Vérification diagnostique : psychosomatique ou non ?
Empiriquement, nous avons constaté à de nombreuses reprises que si le thérapeute demande au patient d’intensifier la douleur, elle peut tout aussi bien diminuer rapidement que s’intensifier ou se déplacer, provoquer des émotions, ramener des souvenirs, etc. Ces réponses sur la variation de la douleur confirment toutes que la douleur est effectivement d’origine émotionnelle.

Tout aussi empiriquement, nous avons constaté qu’au contraire si après plusieurs essais la douleur ne s’intensifie ni ne diminue, ou que très peu et revient à l’intensité initiale, on peut en général avancer que la douleur n’est pas d’origine émotionnelle.
Pour en être sûr, le thérapeute peut faire des propositions pour que la douleur s’atténue en ayant recours à quelques propositions d’anesthésie. Si, à nouveau, la douleur ne diminue qu’à peine mais revient à son intensité initiale, il vaut mieux pour le psychothérapeute de renvoyer le patient à son médecin et collaborer avec celui-ci en soulignant sa suspicion du fait qu’il ne semble pas s’agir pas d’une douleur psychosomatique.

Gérald Brassine
Psychothérapeute
Fondateur de l’IMHEB (1984)

NOTES
(1) L’Intégrale des articles de M.H.Erickson Tome 1 & Tome 2 Bruxelles, Satas, 2009.
(2) Surmonter le traumatisme. Initiation à la Psychothérapie du Trauma Réassociative PTR. Ed. Satas
(3) Organisée par Handicap International Kigali,
Cette Information m’a été donnée par Stefan Jansen, chercheur et professeur à l’Université de Kigali.
(4) Quatre articles qui traitent des Protections Dissociatives dans Hypnose et Thérapies Brèves No 75, 70, 61 et 55. Voir aussi sur www. imheb.be

 

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