Alessandra d’Angelo, publié le 21 novembre 2021 dans lpost.be
Les témoignages d’intoxication présumée au GHB se multiplient en Belgique comme en France. Après plusieurs agressions de jeunes femmes dans des bars bruxellois, dénoncées début octobre, c’est le #nightlifeblackout qui pointe les violences sexuelles subies dans le monde de la nuit. A quelques jours du 25 novembre, la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, cette vague de signalement relance le débat sur la sécurité des femmes dans l’espace public. En termes de poursuites judiciaires, les violeurs restent cependant difficiles à appréhender car les drogues du viol disparaissent rapidement dans le sang et dans les urines et l’examen médical de la victime doit être fait rapidement. Or, sans preuve, pas de coupable. C’est là que l’hypnose peut venir en aide. Explications avec Gérald Brassine, thérapeute et spécialiste en hypnose clinique.
« Je n’ai bu qu’une bière, on m’a retrouvée inconsciente dans les toilettes », « je me suis réveillée nue au petit matin dans le lit d’un inconnu », « mes vêtements sont déchirés, j’ai mal à l’entrejambe, je ne me souviens de rien ». Sur Instagram comme sur Twitter, des centaines de témoignages glaçants inondent la toile. Au cœur du scandale : le GHB (l’acide gamma-hydroxy butyrique), un puissant psychotrope difficile à déceler, insipide, inodore et incolore. Le modus operandi des agresseurs est toujours le même : un empoissonnement à l’insu des victimes et un viol. La conséquence majeure de la prise de cette drogue aux effets euphorisants et sédatifs : une absence totale de souvenir le lendemain. Du côté de la justice, le phénomène reste complexe et difficile à quantifier car le GHB disparaît dans le sang entre 6 à 8 heures et entre 8 à 12 heures dans les urines, même si il est scientifiquement prouvé qu’elle demeure encore pendant 6 mois dans les cheveux, ce que peu d’enquêteurs savent. Mathilde en a fait l’amère expérience. « J’ai été victime de GHB lors d’une soirée étudiante. Quand je m’en suis rendu compte, je suis allée au commissariat mais ils n’ont pas pu prendre ma plainte car ils m’ont dit que la drogue n’était plus présente dans mon corps lors des analyses de sang », déplore-t-elle.
Un état naturel protecteur
« Vous n’avez pas crié, alors qu’il vous a violée ? Vous n’avez pas su dire non ou pire, vous ne vous souvenez de rien ? », ce sont souvent les remarques teintées de reproches que l’on entend de la part d’un magistrat devant un tribunal. « L’inertie est une forme d’hypnose de protection », nous explique Gérald Brassine, thérapeute, hypnotiseur judiciaire, auteur de « Prévenir, détecter et gérer les abus sexuels » et fondateur de la première école belge d’hypnose en 1984. « L’hypnose est un état modifié de conscience naturel que l’on vit tout le temps. On décroche de la réalité. On dit d’ailleurs dans le langage courant ‘être dans la lune’. Lorsque vous êtes victime d’un trauma, d’un accident, d’un attentat ou d’un viol, l’état hypnotique permet une diminution de la perception de la douleur et une désinhibition de certaines pensées. L’anesthésie est tant physique qu’émotionnelle. L’explication en est simple : c’est le cerveau qui nous aide. Il bricole des protections. Pour ne pas avoir mal, il nous met dans un état de sidération, de pétrification. La victime peut aussi être en état de dissociation, soit observer les choses comme si c’était quelqu’un d’autre qu’elle-même qui les subissait. Elle est le spectateur de son trauma ».
Le corps n’oublie pas
Certaines victimes ne se souviennent que d’avoir bu quelques verres avec des amis. Pour d’autres le réveil dans un endroit où elles ne se souviennent pas s’être rendues sera plus que troublant, mais invariablement, sans explication. Des blessures éventuelles, et parfois la présence de sperme seront pour d’autres encore les seuls éléments qui leur permettront, et encore à peine, de lever un coin du voile sur ce qui s’est passé. « Mais, le trou de mémoire qui protège le violeur multirécidiviste peut être travaillé sous hypnose », poursuit Gérald Brassine. Concepteur de la Psychothérapie du Trauma Réassociative (PTR), il aide ses patients abusés sexuellement, notamment avec usage de stupéfiants. « Mettre quelqu’un sous hypnose permet de raviver l’imagerie mentale liée à la situation de blocage. En facilitant l’accès aux émotions, l’hypnose réveille simplement des souvenirs enfouis. Décrire une personne, un trajet, une arme, une pièce ou encore identifier des odeurs, des sensations, des bruits, des voix, en sollicitant les cinq sens, l’hypnose aide à récupérer un maximum d’informations stockées en mémoire. Travailler sous hypnose restructure la mémoire défaillante ».
Un viol inconscient est un viol qualifié
Comme dans la grande majorité des cas d’agression, ce ne sera que quelques temps plus tard que les symptômes d’ESPT feront leur apparition. Mais, avec des manifestations aggravées car la victime ne comprend pas son mal-être, puisqu’elle ne se souvient de rien. « Angoisses, anxiété, phobies, automutilations, dépression, cauchemars récurrents, mais aussi et surtout la sensation de se sentir sale et une dévalorisation personnelle sont autant de symptômes de ce que l’on appelle le stress post-traumatique », poursuit Gérald Brassine. « Sans compter que sans explication rationnelle, dans la plupart des cas, les victimes se sentent coupables de ce qu’il leur est arrivé. La culpabilité vient se greffer sur un viol qualifié parce que prémédité. Nombreuses sont celles qui me disent préféré un viol conscient, avec un couteau sous la gorge à un abus inconscient ».
L’hypnose conversationnelle libère
« Dans tous ces cas, l’hypnose conversationnelle stratégique PTR est un outil de prédilection pour le thérapeute devant soigner les conséquences de ce type d’agression. Elle permet une levée d’amnésie douce et en toute sécurité », nous précise Gérald Brassine. « Le thérapeute invite le sujet à oser sentir la sensation de ne pas sentir, la sensation d’engourdissement, la sensation de tête lourde ou qui tourne. Plus le patient portera son attention sur ces sensations, après les avoir quelque peu intensifiées, plus rapidement elles disparaîtront. Grâce à cette focalisation sur l’expérience de drogue, d’autres éléments du souvenir réapparaîtront ».
Même si bon nombre de magistrats la mettent toujours en doute, l’hypnose judiciaire commence à trouver progressivement ses marques dans le panel d’outils utiles à la recherche de la vérité. A l’instar du détecteur de mensonge, elle est un moyen complémentaire pour arriver à rassembler un maximum de preuves légitimes qui mèneront à l’inculpation d’un auteur. Ce n’est toutefois pas non plus une preuve irréfutable, simplement parce que la mémoire n’est pas à 100% fiable et qu’une personne peut aussi se tromper sous hypnose. Il semble néanmoins de plus en plus admis que chaque élément nouveau révélé lors d’un entretien cognitif avec un thérapeute sera examiné avec une attention particulière par les enquêteurs et le juge d’instruction dans le cadre de poursuites pour viol.